Les comtes-rois d'Aragon (1162-1258)


Le Catharisme

En 1162, Raymond Bérenger IV, comte de Barcelone et prince consort d'Aragon, décède. Son fils Alphonse devient alors le premier comte catalan à monter sur le trône d'Aragon, titre que ses descendants conserveront jusqu'à la disparition du royaume d'Aragon au XVIe siècle. Cet événement marque l'importance croissante du comté de Barcelone. Le Roussillon, quant à lui, reste autonome, mais plus pour longtemps...


Alphonse II : Le premier comte-roi

Né en 1152 de Raymond Bérenger IV et de Pétronille, Alphonse monte sur le trône d'Aragon sous le nom d'Alphonse II d'Aragon, devenant ainsi le premier "comte-roi" d'Aragon. Pour l'anecdote, Alphonse II accède au trône à l'âge de seulement 5 ans ! C'est sous son règne que le Roussillon est rattaché au comté de Barcelone. En 1172, le dernier comte du Roussillon, Guinard II, meurt sans héritier. Par testament, il lègue son comté au comte de Barcelone, qui est alors devenu roi d'Aragon.

Toujours plus ou moins sous la coupe du roi de France, Alphonse II se détache de cette autorité en 1180, lors du conseil de Taragonne, où il interdit de dater les actes à l'ère du roi de France. En Roussillon, il fait fortifier la région. Les villages de Marquixanes, Millas, et Salses se dotent de remparts, dont certains sont encore visibles aujourd'hui. Afin de mieux contrôler la Cerdagne, il fait construire en 1178 une nouvelle ville au milieu du plateau cerdan, au sommet d'un pic : le pic Cerdan (Puig Cerdan, aujourd'hui Puigcerda). Cette ville devient la capitale de la Cerdagne, remplaçant ainsi Hix. Ce titre était surtout lié à la possibilité d'organiser le marché régional. En 1192, il poursuit ses efforts de fortification et renforce la frontière nord avec la modification des châteaux de Puyvalador et de Puigcerda.

Parmi ses autres réalisations, on note la construction du premier pont de pierre de Perpignan, traversant la Têt, en 1195. Alphonse II meurt à Perpignan en 1196.


Pierre II d'Aragon : Le catharisme ou la fin d'un rêve

À la mort d'Alphonse II, c'est son fils Pierre (1174-1213) qui monte sur le trône d'Aragon sous le nom de Pierre II d'Aragon (1196-1213). Premier roi catalan sacré par le pape (en 1204, soit 8 ans après sa prise de fonction réelle), il est connu à Perpignan pour avoir accordé la charte communale, signée le 23 février 1197. Cette charte permet à la ville de nommer cinq consuls élus pour une durée d'un an. Elle lui accorde également la "ma armada" (main armée). En 1204, Pierre II se marie avec Marie, héritière de la seigneurie de Montpellier. À cette occasion, la ville devient une possession royale et, tout comme à Perpignan, une charte est accordée (datée du 15 août 1204), stipulant que des prohomens pourront être nommés. Cependant, il faudra attendre 1246 pour que cette nomination devienne effective. Les prohomens étaient les ancêtres des consuls, eux-mêmes ancêtres des maires et conseillers municipaux.

En 1212, il remporte, avec Alphonse VIII de Castille et Sanche VII de Navarre, la victoire de Las Navas de Tolosa contre les Sarrasins. Mais un événement majeur va bouleverser le destin de la région : Le catharisme.

Branche dissidente du catholicisme, les cathares apparaissent à Toulouse et se développent rapidement dans tout le Sud de la France. Leurs préceptes consistent à se rapprocher de la vie du Christ en prônant une grande humilité. Ces idées nouvelles, surtout celles remettant en cause le confort de l'Église, ne sont jamais les bienvenues. Cela explique pourquoi le catharisme fut immédiatement défini comme une secte à détruire. Plusieurs guerres sans merci eurent lieu au début du XIIIe siècle, chaque grande famille étant obligée de se déclarer catholique ou cathare ("hérétique" pour les catholiques, "pur" selon les cathares).

Or, Pierre II d'Aragon et le chef de file du catharisme, Raymond IV de Toulouse, étaient beaux-frères. Pierre II lui apporta naturellement son soutien en s'engageant militairement aux côtés de Raymond IV contre Simon de Montfort, chef des catholiques. La principale bataille eut lieu à Muret, près de Toulouse. Malheureusement pour les cathares, ce fut une brillante victoire des forces papales. Pierre II meurt sur le champ de bataille, et les troupes ennemies conquièrent le Toulousain. Les derniers cathares se réfugient dans les "citadelles du vertige", dans les Corbières (Peypertuse, Quéribus), et y sont exterminés.

En guise de représailles, le roi de France conserve les anciens comtés hérités de Raymond Bérenger III au début du XIIe siècle (Provence, Languedoc, Toulousain, Carcassonnais, Razès, Sault, Donnezan, etc.). Par ailleurs, il supprime toute velléité d'expansion du comté de Barcelone. Réduit à l'impuissance, le nouveau comte de Barcelone, Jacques, se réfugie chez lui dans l'attente de jours meilleurs. Ce qui ne tarde guère, l'histoire l'ayant surnommé Jacques 1er le Conquérant.


Le règne de Jacques 1er le Conquérant

Expansion militaire et maritime de l'Aragon (1213-1276)

Nous sommes en 1213. Le roi d'Aragon Pierre II vient de mourir sur le champ de bataille de Muret en luttant aux côtés de Raymond IV de Toulouse, cathare, contre Simon de Montfort. Cet événement marque la fin du grand royaume méridional réunissant dans une même famille Catalogne, Aragon, Toulouse et la Provence. Le nouveau roi, Jacques, âgé de 5 ans, ne prendra ses fonctions qu’à 17 ans, la régence étant assurée par son grand-oncle, le duc de Provence.

Le Roussillon, annexé par héritage au royaume d'Aragon, est désormais intimement lié au développement de ce royaume. Son expansion vers le Nord étant impossible, le royaume va se concentrer sur des conquêtes en direction du Sud, c’est-à-dire vers le royaume sarrasin. C'est ainsi que le roi d'Aragon, Jacques 1er, se lance dans de grandes conquêtes militaires visant la région de Valence. Mais avant de pouvoir attaquer, il devait s’assurer de la maîtrise des mers. En effet, les pirates maures étaient extrêmement actifs, arraisonnant régulièrement les navires chrétiens. Jacques 1er décida donc d’éliminer cette menace en détruisant les repaires des pirates : les îles Baléares.


1229 : Conquête des Baléares

Ce fut l’origine de la première des deux grandes conquêtes de ce grand roi. En 1228, il demanda aux Corts l’autorisation d’effectuer cette conquête, et, ayant obtenu leur accord, il arma une flotte en 1229. Son armada était composée de 155 vaisseaux, 15 000 hommes et 1 500 chevaux, dont 25 vaisseaux, un navire à trois ponts (pour le transport des chevaux) et 100 cavaliers, ainsi que quelques soldats, provenaient du Roussillon. Ces derniers partirent du port de Collioure. L'armada au complet était sous les ordres de Nino Xanxo, un Perpignanais.

Devant l’armada déployée, Majorque fut rapidement conquise. Des colons vinrent s’y installer, marquant le début de l’implantation du catalan aux Baléares. L’île d’Ibiza sera également conquise, mais en 1235.


1271 : Conquête du royaume de Valence

Maintenant maître des mers, Jacques 1er lance ses troupes sur Valence. Supérieures en nombre, elles vinrent rapidement à bout d'un vaste territoire, prenant les villes de Morella (1232), Péniscola (1233), Borriana (1233), Puig de Ste Maria (1237). Jacques 1er arriva alors devant Valence (1238), où résidait le roi sarrasin. Ce dernier demanda l'aide du calife d'Afrique du Nord, qui arriva avec 18 bateaux, mais ils ne purent accoster en raison de la flotte catalane. Tentant d'accoster à Péniscola, ils furent repoussés, et ce n’est qu’à Dénia, beaucoup plus au sud, qu'ils purent débarquer. Cependant, cette incursion fut de courte durée, les troupes de Jacques 1er les obligeant à rembarquer.

Valence tomba en 1238. Jacques 1er poursuivit ses conquêtes en direction de Xativa (1244), Biar (1245) et Murcia (1266). Enfin, en 1271, un traité de paix fut signé, officialisant le Valence catalan. Curieusement, dès 1239, le commerce reprit avec les Maures, les deux parties ayant besoin l'une de l'autre. Jacques 1er consolida rapidement les liens avec le sultan de Tunis et le sultan de Tlemcen, qui lui assurèrent un approvisionnement en or. Il ne restait que le problème du sultan de Ceuta (Maroc), dont la ville était prise par des rebelles. Un accord prévoyait que Jacques 1er envoie une troupe pour libérer la ville contre l’ouverture d’une nouvelle route de l'or au Maroc. Mais, une fois la ville prise, le sultan ne tint pas ses promesses. Ce fut le seul échec de la politique de conquête de ce grand roi.


Multiplication des places-fortes (XIIIe siècle)

Bien que pacifiée officiellement, la région fut néanmoins le théâtre de nombreuses échauffourées entre la France et l'Aragon. Militairement, il était donc important pour les deux camps de se protéger de leur ennemi. C'est pourquoi, de 1245 à 1246, pendant huit mois, le roi d'Aragon Jacques 1er le Conquérant vint à Perpignan et organisa la défense du Roussillon. Résidant à Perpignan, il ordonna la fortification de nombreux remparts autour des principales villes (Perpignan, Vinça en 1245, Ille-sur-Têt en 1244). Ce phénomène fut si important pour la région que peu à peu les campagnes furent désertées au profit de la sécurité des agglomérations. Mais ces décisions, si importantes soient-elles, ne lui furent que de peu d'utilité. En fait, les agressions extérieures n'apparurent réellement que sous ses descendants, les rois de Majorque en premier. Ces remparts sont souvent toujours debout, preuve de l'efficacité de ces décisions.

Par ailleurs, Jacques 1er lança les prémices du réseau de tours à signaux qui sont si caractéristiques de la région. Ce réseau sera réellement développé par les rois de Majorque.


Les châteaux de la frontière Nord

En parallèle, il fit construire ou rénover des forteresses le long de la frontière Nord, celle avec la France. Évidemment, les Français firent de même. La configuration des lieux fait que ces places fortes se trouvaient parfois à seulement deux ou trois kilomètres les unes des autres, sur des pitons rocheux dominant une vallée commune.

Le roi d'Aragon remit en service des forteresses autrefois laissées de côté. La principale était Opoul, appelée à l'époque "Castllar de Oped". Située sur un plateau calcaire, elle datait de 1100, mais ne sera réellement exploitée qu'en 1172, lors de la session du comté du Roussillon par Guinard II. Sa silhouette dominait la plaine du Roussillon, mais surtout une grande partie de la chaîne des Corbières par où étaient censés venir les Français. Afin de faciliter l'installation des habitants dans cette zone aride peuplée artificiellement, Jacques 1er donna de nombreux privilèges aux volontaires. Le village qui se monta de toutes pièces fut nommé Salveterra, "la terre qui sauve", en référence à ces privilèges. Ce château était flanqué d'un poste avancé, situé à 10 km plus au Nord, à l'extrême limite de la frontière : le château de Périllos. Il s'agissait d'une ancienne place forte protégeant le village de Périllos, mais qui fut reconvertie lors de la fortification de la frontière en poste de surveillance.

La forteresse d'Opoul avait une faiblesse sur la droite. En effet, il était possible pour une armée en marche de franchir les Corbières en passant entre les dernières collines à l'Est et les marécages proches de la mer. Cette étroite bande de terre, qui deviendra la voie de communication normale dans les siècles suivants, devait également être protégée. Ce fut le rôle du château de Salses, qui existait déjà mais fut fortifié à nouveau.

Plus au Sud, entre les deux, une place forte nommée "Castell-Vell" se trouvait entre Opoul et Rivesaltes, dans les derniers contreforts des Corbières. Il en reste des ruines de nos jours, visibles sur la route d'Opoul, à 1 km après le camp Joffre de Rivesaltes. Faites attention, les ruines se trouvent sur le 1er piton rocheux, sur la droite. En 1235, il était déjà appelé "Vieux", et sa construction date probablement du VIIIe siècle. Plus à l'Ouest, Jacques 1er fit rénover le château de Tautavel, forteresse construite sur un piton rocheux verrouillant la vallée du Verdouble. Enfin, pour boucler le dispositif, Força-Réal, "forteresse royale", était la sentinelle du Roussillon.

Côté Français, le roi fit lui aussi modifier les châteaux du Sud : Quéribus, Trémoine, Lansac, Latour de France, Cuxous, Caladroy, Bélesta, Montalba, Roquevert, Palmes, Corbous, Arsa, Le Vivier, le château de Fenouillet et les églises fortifiées de Saint-Martin et Saint-Barthélémy (entre Bélesta et Caladroy). Ainsi protégée, la région du Roussillon connut, à partir du milieu du XIIIe siècle, une période calme qui profita aussi bien à la région elle-même qu'à ses habitants.


Le traité de Corbeil

Nécessité d'une frontière fixe

Devenant plus autonome dans le Sud, il était important pour Jacques 1er d'Aragon d'officialiser la frontière entre l'Aragon et la France. Souvenons-nous qu'en 1213, la bataille de Muret marque l'échec du catharisme, mais plus politiquement celui de la réunification, sous une même famille, des comtés de Toulouse, de Provence, de Barcelone et du royaume d'Aragon, ce qui aurait créé un royaume méridional de grande importance. Après la victoire, le contrôle exercé par le roi de France sur Toulouse et la Provence se renforce, alors qu'en Catalogne, l'éloignement rend cette tâche plus difficile. De plus, malgré les apparences, les Corbières forment une barrière naturelle bien plus efficace que les Pyrénées. Ces collines vont accueillir des places fortes, peu distantes, qui vont former une véritable frontière. C'est cette frontière qui sera officialisée en 1258 lors de la signature du traité de Corbeil entre les rois de France, Louis IX, et d'Aragon, Jacques 1er.

La roque d'En Talou

La roque d'En Talou

On édifia plusieurs bornes-frontières pour matérialiser cette limite, dont la plus célèbre est sans doute la Roque d'En Talou, gravée des armes des deux royaumes.


Le Traité

Les villages catalans les plus au Nord sont Salses, Montner, Ille-sur-Têt, et Mosset. Il apparaît donc que tout le Fenouillèdes se retrouve en France, ce qui explique la séparation prématurée qui se traduit encore aujourd'hui par un écart de mentalité entre les habitants du Fenouillèdes, plus proches du Languedoc, et ceux du reste du Roussillon, plus tournés vers la Catalogne.

Le traité ne se contente pas d'officialiser la frontière, il constitue un véritable échange de territoires entre les deux royaumes. Ainsi, Louis IX cède au roi Jacques 1er et à ses successeurs tous les droits qu'il détient sur les comtés de Barcelone, Urgel, Bésalu, Roussillon, Ampurias, Cerdagne, Conflent, Girone et Ausonne.

En contrepartie, Jacques 1er cède à Louis IX ses droits sur le pays et la ville de Carcassonne et le Carcassès, le Razès, les villes et le pays de Béziers, Minerve, Agde, Albi, Rodez, Cahors, Narbonne et son duché, Puylaurens, Quéribus, Castelfizel, Sault, Fenouillet, Pierrepertuse, Millau, Gévaudan, Grèzes, Nîmes et le Némausois, Toulouse et le comté de Toulouse, ainsi que Saint-Gilles et tous les domaines ayant appartenu à feu Raymond, comte de Toulouse.

On peut ainsi constater que l'objectif de ce traité était d'échanger des terres afin de supprimer toute enclave de part et d'autre de la frontière. Bien que cet objectif ait été en grande partie atteint, il n'a pas été totalement réussi, car le pouvoir du roi de France ne s'exerçait pas sur le comté de Foix, qui devait rendre hommage au roi d'Aragon. Ce comté avait pour vassal le Donnezan, notamment le château de So, permettant ainsi à Jacques 1er d'Aragon d'exercer une autorité sur des terres situées au Nord de la frontière. À noter que la famille de So, qui deviendra plus tard vicomte d'Evol, sera un soutien fidèle de l'Aragon, puis du royaume de Majorque.

L'épisode suivant de l'histoire du Roussillon se situe à un niveau supérieur : celui du royaume de Majorque.



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