Le Roussillon aux XVIIe et XVIIIe siècle


Catalans depuis 1000 ans, les habitants de la région ont mal supporté la séparation de la Catalogne voulue par les deux royaumes. S'en est suivi un nombre important de révoltes pour la sauvegarde des acquis traditionnels qui volèrent en éclats sous Louis XIV et furent définitivement enterrés à la Révolution.


La révolte des Angelets

Tout commence l'année précédente, en 1661 (décembre, exactement). Louis XIV prit une décision lourde de conséquences, la réhabilitation de la Gabelle, le fameux impôt sur le sel qui avait été aboli depuis un édit du roi en 1292, soit près de 4 siècles auparavant. Suite à ce décret, les habitants de Prats-de-Mollo se révoltèrent, entraînant naturellement tout le haut Vallespir. À partir de 1662, le Vallespir entra en ébullition, les habitants jouant un jeu dangereux.

De nombreux agents du fisc furent massacrés, ainsi que des gabelous (les gendarmes de l'époque) qui tentèrent de les protéger. Les habitants, trafiquants de sel entre la France et l'Espagne, se réfugiaient régulièrement de l'autre côté de la frontière, où ils trouvaient refuge auprès d'amis ou de la famille. Devant l'ampleur de la révolte, Louis XIV utilisa la manière forte et envoya sur place deux bataillons. Mais ce ne fut pas suffisant, les révoltés les mettant tous les deux en déroute. Il faut dire que la proximité de l'Espagne leur assurait un parfait poste de repli, et que quiconque connaît un peu le terrain sait qu'il y a peu de chance pour qu'une troupe de soldats, aussi importante soit-elle, puisse arrêter des révoltés ayant pris le maquis.

Lorsqu'enfin les soldats parvinrent à contenir la rébellion, la répression fut dure et de nombreuses personnes furent condamnées à mort, d'autres aux galères. Les villes furent lourdement taxées et le village de Py fut condamné à être rasé, du sel devant être répandu sur ses ruines. Ce fut la fin de ce que l'on appela par la suite "La Révolte des Angelets".

Pour parfaire sa victoire et par la même surveiller cette population instable, Louis XIV commanda dès 1674 la construction d'une forteresse. Elle est toujours debout à l'heure actuelle, il s'agit du fort Lagarde, qui fut construit entre 1680 et 1682. Cette forteresse était elle-même protégée par trois tours qui avaient une fonction de surveillance de la vallée : la Tour d'En Mir, la Tour de la Guardia et la Tour de Cos. Le dispositif était verrouillé avec le château de Périlla datant du IXe siècle.


Vauban modifie le système de défense de la région

Afin de mieux contrôler militairement le Sud de la France, Vauban se voit confier la charge de la construction des nombreuses places fortes. Toute la région va alors se couvrir de citadelles d'importance variée. Le site de Mont-Louis sera choisi comme pivot central du réseau de fortifications construits le long des Pyrénées pour différentes raisons expliquées sur la page d'histoire de Mont-Louis.

Latour de Carol sera également renforcé, mais ses efforts porteront surtout sur des emplacements stratégiques : il fait relever les remparts de Villefranche-de-Conflent et dote la ville d'une citadelle protectrice sur les hauteurs, le fort Libéria. Puis Prats-de-Mollo est également renforcé d'une deuxième citadelle, le fort Lagarde, ainsi que le col du Perthus avec le fort Bellegarde.

Les remparts de Perpignan sont modifiés, ainsi que le Castillet, et enfin le fort de Salses subira un abaissement de près de 15 m de hauteur afin de le camoufler un peu plus des regards de l'éventuel ennemi.

Cette période durant laquelle Vauban viendra dans la région aura pour effet de modifier radicalement le système de défense roussillonnais, désormais plus apte à contrer l'envahissant voisin espagnol. Comme on le verra plus loin, ce ne fut pas fait en pure perte.


Le Roussillon incorporé à la France

Depuis que le Roussillon est rattaché à la France, le roi tente par tous les moyens de faire prendre le pli à cette région fortement enracinée dans sa culture locale. Le système de monarchie à la française veut que le maximum de décisions soit pris à un échelon national, et ceci va à l'encontre de la semi-autonomie dont a toujours joui la région.

Mais bien plus que de tenter par la force de soumettre les Catalans, c'est doucement, avec le temps, qu'ils prendront l'habitude de voir dans leur quotidien les effets du centralisme royal. Un premier exemple date de la fin du XVIIe siècle. Louis XIV fonde "l'hôpital général Notre-Dame de la Miséricorde", ce qui peut être vu d'un bon œil. Mais ceci a été fait pour y enfermer les pauvres et autres misérables ne pouvant pas s'assurer seuls une vie décente. Or la tradition de charité est importante en Roussillon, les Catalans sont habitués à voir la misère dans la rue et ne veulent pas la voir disparaître. L'hôpital reste vide et les rues encombrées, contrairement à la volonté du roi.


Le problème de la langue

En 1700, un édit du roi impose le français dans l'écriture de tout acte officiel. Mais on constate qu'en 1742 encore, les membres du conseil souverain s'expriment avec difficulté dans cette langue.

D'ailleurs, à la révolution, sur les 100 000 habitants de la région, seuls 2 à 3 000 membres de la haute société et du clergé connaissent le français. Et même à cette époque, les membres du conseil souverain, pourtant nommés par le roi, admettent encore le droit catalan.


En territoire ennemi

Lorsqu'en 1659 le Roussillon devient français, les troupes occupaient déjà la région. Mais le temps qui passe ne change guère les mentalités des Français. Ils ont l'impression d'être en territoire ennemi, tout comme durant le XVe siècle, et ce sentiment perdurera jusqu'à la Révolution. De même, la population est hostile à ce qu'elle considère comme un envahisseur. Des mutineries éclatent contre les corvées entre 1776 et 1777. En 1779, les habitants de Palalda se mettent en grève consulaire pour protester.

De 1770 à 1780, les contrebandiers se multiplient. Ce phénomène ira croissant jusqu'au milieu du XIXe siècle, mais la lutte entre les douaniers et les contrebandiers atteint son paroxysme à la fin du XVIIIe siècle.


L'évolution des institutions catalanes

La Catalogne possédait depuis le Moyen Âge une structure politique solide. Basée sur un souverain (le comte de Barcelone), elle avait des institutions modernes faisant la part belle à la population, celle-ci étant représentée par une assemblée, les Corts. Le Roussillon était directement sous la gouverne d'un vice-roi et disposait de trois vigueries (Perpignan, Villefranche-de-Conflent, Saillagouse).

Lorsque la région devient française, le roi a l'intelligence de laisser en place ces institutions, du moins toutes celles qui n'interfèrent pas avec celles de la France. Il se place à l'opposé des rois d'Aragon qui, durant les XIVe et XVe siècles, n'ont cessé de les briser, mettant en péril l'existence même de la Catalogne.


Les lieutenants-généraux

Nous sommes en 1648. Jusqu'en 1652, le roi doit faire face à ses gouverneurs qui se liguent contre lui. Cette période, appelée plus tard "la Fronde", entraîne la destitution des gouverneurs, remplacés par des lieutenants-généraux. Le premier lieutenant-général du Roussillon est le duc de Noailles, suivi par ses descendants sur quatre générations. Le sixième est le duc de Mailly (1750-1791), qui entreprend de nombreux travaux dans la région. La disparition des gouverneurs marque également celle de leurs tribunaux, remplacés par le Conseil souverain. Ce changement ne suscite aucune inquiétude parmi la population, car il ne modifie pas les pratiques concrètes.


Disparition des institutions catalanes

Les Corts disparaissent naturellement en 1789, remplacées par les "États généraux" réunis cette année-là. Le vice-roi de Catalogne, quant à lui, est remplacé par l'intendant dès 1660. Là encore, la population ne réagit pas, car seule l'appellation change. En 1800, l'intendant cède sa place au préfet. Le 6 mars 1790, les députés de l’ancienne province du Roussillon signent l’arrêté créant le département du Roussillon, qui sera rapidement renommé "Pyrénées-Orientales". C’est également à cette époque que le Fenouillèdes, français depuis le traité de Corbeil en 1258, est rattaché au Roussillon. Cet écart de 450 ans explique les différences de mentalité entre le Fenouillèdes et le reste du département.


Les prémices de la Révolution française

À la fin du XVIIIe siècle, le Roussillon est bien intégré à la monarchie française, tout en conservant une identité propre, d’autant plus forte que son voisin, la Catalogne du Sud, connaît une situation similaire avec l’Espagne.

Le Roussillon, une province privilégiée ?

À cette question, il semble que la réponse soit négative. Le poids des impôts n’y est pas plus lourd qu’ailleurs : la moyenne par habitant s’élève à 13 livres et 15 sous, contre 23 livres, 13 sous et 8 deniers pour la moyenne française. L’imposition y est donc relativement avantageuse.

De plus, les usages locaux restent vivaces, certains étant encore officiellement reconnus par le roi. L’un des principaux privilèges consiste à être jugé par un tribunal composé de Catalans, selon les coutumes locales. Une particularité réside dans le fait que, en dernière instance, le tribunal souverain est celui de Perpignan, alors que, dans d’autres provinces, les habitants doivent se rendre dans des villes plus importantes.

Enfin, la région demeure constituée de seigneuries, dont certaines appartiennent à des seigneurs espagnols, généralement catalans du Sud. Par exemple, le duc de Cardona est seigneur d’Ille, Bouleternère, Casenoves, Pia, Banyuls-sur-Mer, etc.


L'amorce de la Révolution

En juillet 1789, la révolte gronde dans toute la France depuis quelque temps déjà. À Paris, la Bastille est prise. Partout, les Français se soulèvent contre la noblesse et le clergé, accusés de tous les maux. Ce mois-ci, ce sont tout d'abord les habitants de Perpignan qui réagissent. Cependant, deux phénomènes distinguent la révolte catalane des autres : d'une part, elle intervient relativement tardivement et de manière modérée ; d'autre part, elle se tourne contre le fisc plutôt que contre la noblesse. Le but recherché, s'il en existait un, semble avoir été de démanteler l'appareil d'État, en premier lieu le système de collecte des impôts. Évidemment, le chaos ainsi provoqué a aussi favorisé des affrontements entre habitants, en l'absence d'arbitrage royal.


Les événements marquants de la Révolution

À Perpignan, le 27 juillet 1789, la population se soulève et prend la direction de la régie fermière. Il s'agit d'une sorte de coopérative à laquelle tous les hommes de terre sont liés, au seul profit du roi, bien sûr. En peu de temps, tous les papiers sont brûlés, rendant impossible l'identification des créanciers.

À Prades, le 28 juillet 1789, à 20 heures, des séditieux étrangers sonnent le tocsin et propagent la rumeur selon laquelle le roi aurait ordonné la distribution de sel. Sachant combien l'impôt sur le sel avait provoqué la révolte des Angelets au siècle précédent, on comprend l'importance de cette annonce.

Aussitôt, les habitants se rendent en masse aux entrepôts et forcent les portes, rejoints par ceux des villages environnants, venus chercher leur part. Tout le tabac et le sel sont pillés. Vers 2 heures du matin, une deuxième vague d'assaillants investit la maison du receveur et la pille. Toujours à Perpignan, le 30 juillet, l'entrepôt de tabac subit le même sort que celui de Prades. Le 1er août, les Perpignanais brûlent les papiers timbrés au bureau des Domaines, exprimant leur opposition au système fiscal royal. Le 2 août, il devient impossible pour les agents royaux de retrouver une quelconque trace des créanciers, que ce soit auprès des receveurs, gabelous ou employés des fermes. Le soir, les habitants célèbrent leur victoire par une messe solennelle et un grand repas public.

Mais, quel que soit le régime qui succède à la monarchie, il devient indispensable de retrouver les contribuables et les créanciers. Si la plupart sont identifiés, cela prend parfois des années. D'ailleurs, la collecte des impôts reste un véritable casse-tête en Roussillon.


L'impôt et les Catalans

Il devient en effet de plus en plus difficile de collecter l'impôt en Roussillon. La mauvaise foi des habitants, combinée à la destruction des papiers en 1789, ralentit tellement le processus que certains cessent purement et simplement de payer. Ainsi, en 1790, à Vinça, personne ne veut collecter l'impôt, même contre rémunération. À Prats-de-Mollo et à Prades, presque rien n'est récupéré des contributions patriotiques. En août 1792, le receveur de Céret signale que les contributions entrent très mal, en particulier à Banyuls, Reynès, et Montauriol. Il note également que toutes les communes ont un arriéré datant de 1788, 1789 et 1790. Le 24 octobre 1792, le Directoire du département décide d'envoyer 300 soldats pour remédier à la situation. Cela améliore les finances, mais aggrave bien sûr le climat social. En février 1793, le Directoire contraint les receveurs de district à solder les "contributions respectives de leurs arrondissements".


La religion, sujet de discorde

Un autre point de désaccord entre les révolutionnaires et leurs opposants en Roussillon est le rapport à la religion. Nous sommes en effet dans une région très pratiquante, aux traditions chrétiennes profondément enracinées, un peu comme l'était la Bretagne à cette époque. Les *applecs* (des rassemblements populaires religieux, équivalents aux fêtes votives) sont nombreux, et la population s'oppose à leur interdiction. Elle s'oppose également à la fermeture des monastères, couvents et surtout des ermitages, habités alors par des religieux intégrés à la vie sociale, respectés et écoutés pour leur sagesse. Cependant, tous les Catalans ne partagent pas cet avis, et les décisions de la jeune République s'appliquent à toute la France. Ainsi, le 2 novembre 1789 est décrétée la vente des biens de l'Église, suivie de celle des biens des émigrés le 2 septembre 1792. La vente des biens de l'Église s'étale principalement de 1790 à 1795, tandis que celle des biens des émigrés s'effectue entre 1793 et 1795.

En Roussillon, ces deux types de biens sont morcelés en 915 lots, achetés par 617 personnes différentes. Preuve de l'inégalité des richesses, 10 % des acheteurs acquièrent 60 % de la valeur totale des biens. La Cerdagne se distingue quelque peu, étant une région moins riche en biens ecclésiastiques. Seuls 63 lots y sont mis en vente, mais on y trouve davantage de biens d'émigrés, souvent plus intéressants.

Le rachat des biens de l'Église n'est pas toujours motivé par des intérêts purement vénaux. Pour certains acquéreurs, il s'agit de préserver les édifices religieux jusqu'à ce qu'ils puissent être rendus au culte. Certains les conservent comme chapelles privées, tandis que d'autres les ouvrent (illégalement) au culte. Une partie des acheteurs transforme ces bâtiments en structures agricoles, ce qui les dégrade souvent considérablement.

D'une manière générale, la vente des biens de l'Église en Roussillon se déroule sans passion, uniquement par intérêt. Cependant, l'esprit chrétien demeure suffisamment vivant pour que la plupart des bâtiments rachetés retrouvent leur vocation religieuse quelques années plus tard, avec l'assouplissement des lois anticléricales françaises.


Les traces laissées par la Révolution

Les oppositions d'intérêts

Malgré les intérêts communs exprimés dans les cahiers de doléances, certains clivages persistent en Roussillon. Le principal oppose la ville de Perpignan aux villages ruraux. Dans ces derniers, les cahiers de doléances contiennent souvent des propos virulents envers les citadins.

Dans le cahier de Bompas, on utilise l'expression "Hauts de Perpignan" pour désigner la noblesse. Dans celui de Villeneuve-de-la-Rivière, il est écrit "ses messieurs de Perpignan", marquant un mépris évident. Le principal reproche des ruraux envers les citadins porte sur le "privilège des estimes". Ce droit permet aux Perpignanais propriétaires d'un champ abîmé par un troupeau appartenant à un habitant d'un village rural de se faire indemniser, sur la base d'une estimation faite par un Perpignanais. Cette estimation est presque toujours exorbitante. De plus, comme le berger ne peut souvent pas payer, c'est la communauté villageoise qui s'acquitte du dédommagement.

Un second point de tension entre citadins et ruraux concerne les députés du tiers état. Les députés de Perpignan, qui militent pour la préservation des privilèges urbains, se retrouvent en minorité face aux députés ruraux, menés par un certain Joseph Cassanyes, futur conventionnel et héros de la guerre de 1793.


La contrebande

Activité illicite, la contrebande entre la France et l'Espagne n'est apparue qu'après le traité des Pyrénées. Auparavant, la Catalogne formait une unité géographique et sociale cohérente, et la contrebande ne pouvait s'exercer que vers la France. Toutefois, les différences culturelles et idéologiques étaient alors trop importantes pour que cette activité soit lucrative.

En revanche, dès la séparation de la Catalogne et la fixation d'une frontière en 1659 entre la France et l'Espagne, les deux pays ont adopté une politique de centralisation, éloignant ainsi la Catalogne du Nord de celle du Sud. Les mentalités, cependant, n'ont pas évolué aussi rapidement, et le sentiment d'appartenir à un même peuple poussait les Catalans à continuer l'échange de biens selon leurs usages traditionnels, malgré les interdictions légales imposées par les deux pays.

La jeune République française avait deux raisons principales de vouloir limiter la contrebande :

  • Tout d'abord, cette activité se faisait avec l'Espagne, un voisin dont la dangerosité augmentait rapidement. D'ailleurs, l'Espagne envahit le Roussillon en 1793.
  • Ensuite, il devenait urgent, pour affirmer le principe d'égalité, d'unifier l'ancien royaume. Tous les anciens privilèges et particularismes devaient être abolis, or le Roussillon en avait conservé plusieurs depuis son annexion à la France.

C'est ainsi qu'est apparue la contrebande en Catalogne. Tous les points de passage des Pyrénées étaient concernés, en particulier ceux qui étaient difficilement accessibles. Les cols du Perthus et d'Arès étaient trop bien surveillés par les douaniers. Les routes empruntées passaient plutôt par la vallée de Montbram (Sorède) ou par les hauts cols pyrénéens.

De plus, à la fin du XVIIIe siècle, les douanes françaises furent créées pour remplacer la ferme générale. Les Catalans y virent un retour en arrière dans leur situation. D'ailleurs, ils s'opposèrent ouvertement aux douaniers. Ces derniers arrivèrent en Roussillon avec l'intention ferme de "remettre au pli" les Roussillonnais, réputés dissipés par nature. Mais en 1791, à l'entrée de Céret, ils furent massacrés par la population. Le 18 août 1791, à Laroque-des-Albères, ils furent chassés de la ville. Au Boulou, le receveur faillit être tué. En Roussillon, personne n'accepte de les héberger : ils sont tout simplement haïs.

Le 14 mai 1792, le directeur des douanes signale qu'il n'y a toujours pas de poste de douane à Saint-Laurent-de-Cerdans ni à Prats-de-Mollo, pourtant deux bourgs importants. On imagine facilement la situation des douaniers, peu nombreux dans une région hostile !

S'ensuivit une période trouble où la contrebande fit les beaux jours de la population. Elle portait sur tout ce qui était cher en France, notamment le tabac, le sel, le bétail et le tissu. Les habitants avaient tendance à soutenir les contrebandiers, estimant que cette activité servait à compenser les pénuries artificiellement créées par le roi. De plus, le sentiment anti-français restait fort après un siècle de "colonisation". Les gabelous, ces gendarmes d'autrefois, tentaient de sévir. Ils arpentaient les Albères de long en large, mais ne parvenaient qu'à capturer des "amateurs", sévèrement punis en comparaison des vrais contrebandiers. Ce phénomène ne faisait qu'exacerber le sentiment anti-français de la population.

Voici deux anecdotes qui illustrent l'importance de la contrebande, en Capcir et en Cerdagne. En 1799, la France relança sa politique de lutte contre cette activité. Le 26 messidor an VII (juillet 1799), une véritable bataille éclata entre douaniers et contrebandiers. Ces derniers, venus du Capcir, tentaient de passer en Espagne. L'affrontement se déroula à Védrignans, près de Saillagouse. Un homme de Formiguères, Jean-Pierre Claverie, dit Montaillou, fut accusé par les douaniers, qui portèrent l'affaire devant la justice. Bien que l'accusé ait été relâché, la ville de Formiguères fut condamnée à payer 300 francs, auxquels s'ajoutèrent 500 autres à partager avec Védrignans.

Quelques mois plus tard, en novembre 1799, d'autres contrebandiers furent arrêtés en Cerdagne, preuve que cette activité se poursuivait activement. Mais le plus important épisode de contrebande en provenance du Capcir eut lieu le 14 ventôse an VIII (mars 1800). Cette nuit-là, 60 hommes armés, venant de Formiguères et aidés par des comparses de la vallée de Carol, tentèrent de transporter une quantité considérable de marchandises : "cuir en poil, coton en rame, soie grasse, drilles ou chiffes" ainsi que des mulets du Poitou âgés de 3 ans.

Prévenus, les douaniers se postèrent au pont de la Têt après La Llagonne, et une autre équipe au col de Gorguja, près de la frontière. Mais ils sous-estimèrent le nombre d'ennemis et durent se contenter de suivre les contrebandiers jusqu'au pont de l'Ayga d'Eyna (sur la rivière d'Eyne). À Via, les douaniers se dévoilèrent et sommèrent les contrebandiers de se rendre. Des coups de feu furent échangés, mais la colonne ne s'arrêta pas. Le chemin fut jonché d'objets abandonnés par les contrebandiers, mais aucun corps des victimes des accrochages ne fut retrouvé.

Le détachement du col de Gorguja, alerté par les coups de feu, descendit sur le plateau pour intercepter les contrebandiers. Cependant, ils ne purent que les regarder passer impuissants dans l'enclave espagnole de Llivia.


1792 : La mesure du méridien terrestre

C'est une aventure fascinante qui se déroula à la fin du XVIIIe siècle dans la région. Tout commença avec la Révolution française et la rédaction des fameux "Cahiers de doléances". Chaque commune était invitée à y consigner ses doléances pour améliorer la vie des citoyens, souvent en remettant en question les pratiques de l'Ancien Régime. Une constante émergea : la nécessité d'avoir une unité de mesure commune pour tous. Afin d'uniformiser les unités de longueur, il fut décidé par décret, le 26 mars 1791, que cette unité serait la dix-millionième partie du quart du méridien terrestre et s'appellerait le mètre, dérivé du grec "metron", signifiant "mesure". Toute la difficulté résidait alors dans la mesure précise du méridien terrestre. Après quelques recherches, il fut décidé de mesurer une portion réelle de ce méridien, celle située entre Dunkerque et Barcelone. Deux astronomes de l'observatoire de Paris, Jean-Baptiste Delambre et Pierre Méchain, furent désignés pour accomplir cette immense tâche à partir de 1792.

Voir aussi : Cartes des triangulations.

Pour effectuer des mesures sur d'aussi longues distances, il est impossible de mesurer directement le sol. Non seulement cela aurait pris trop de temps, mais le relief, même minime, aurait biaisé les résultats. La méthode choisie fut donc celle de la triangulation, utilisée depuis l'Antiquité égyptienne.

Si l'on connaît deux angles et un côté d'un triangle, on peut en déduire, par calcul, les deux autres côtés.

Ce théorème signifie qu'en connaissant une longueur (la base) et deux angles, mesurés depuis des sommets, on peut calculer les autres côtés du triangle. En juxtaposant ces triangles les uns aux autres, on progresse le long d'une ligne droite. Cependant, cette méthode présente plusieurs défis, notamment la courbure terrestre. Les triangles sont parfaitement plans, alors que la surface terrestre est légèrement convexe. Il est donc nécessaire d'appliquer une formule mathématique pour ramener cette courbure théorique à une ligne au niveau de la mer. Dunkerque et Barcelone, toutes deux au niveau de la mer, furent choisies pour cette raison. Une autre difficulté résidait dans la mesure systématique des latitudes aux extrémités des portions de terrain, ce qui n'était pas évident à l'époque.

Concrètement, le méridien fut déterminé grâce à une succession de triangles dont les côtés étaient reliés. Pour cela, une base connue, appelée "distance de référence", devait être mesurée au sol. Cette base nécessitait un terrain plat, parfaitement rectiligne et suffisamment long pour permettre la mesure des angles d'un triangle imaginaire couvrant plusieurs kilomètres carrés. La première base fut située à Melun. Une seconde, nécessaire pour valider les mesures, fut établie en 1799 dans le Sud de la France, entre la patte d'oie au Vernet et Salses-le-Château. À l'époque, cette route était parfaitement rectiligne et mesurait exactement 11 706 mètres, déterminés à l'aide des "règles de Borda" de 3,898 mètres (2 toises) de long. Cela explique pourquoi les bornes visibles à Perpignan et à l'entrée de Salses ne se trouvent pas sur la méridienne de Paris : elles servaient uniquement de base de mesure.

Dotés de la base de Melun, puis de celle de Perpignan, nos deux astronomes purent commencer leurs travaux. Ils se séparèrent le 25 juin 1792 : Jean-Baptiste Delambre mesura la distance entre Dunkerque et Rodez, tandis que Pierre Méchain s’occupa de la portion entre Rodez et Barcelone. Cependant, dans le Roussillon, Méchain se heurta à la guerre de 1793, qui entrava considérablement ses progrès. Malgré les obstacles, les deux astronomes se retrouvèrent en novembre 1798 après avoir achevé leurs travaux. Méchain souhaita poursuivre jusqu’aux îles Baléares, mais il mourut avant d’avoir pu terminer cette tâche. Il fut remplacé par François Arago, qui dut affronter des conditions encore plus difficiles, notamment en raison de l’invasion de l’Espagne par Napoléon.

À l’issue de cette aventure, les Français connurent la longueur du quart du méridien terrestre. Les cartes qu’ils élaborèrent sont visibles ici. Ils en déduisirent le mètre et créèrent ainsi le système métrique, adopté en France en 1799, puis progressivement dans d’autres pays. De nos jours, le mètre est défini autrement : c’est la longueur du trajet parcouru dans le vide par la lumière pendant une durée de 1/299 792 458e de seconde. Une définition bien moins poétique, mais infiniment plus précise !

Quant à nos deux astronomes, l’histoire ne les a pas oubliés. Ils sont encore représentés aujourd’hui sur le dessin en trompe-l’œil de la patte d’oie, accoudés à un balcon, avec des instruments de mesure à leurs pieds. Pour finir, saviez-vous que notre département possède une troisième borne de mesure ? Elle se trouve sur la route menant de Perpignan à Peyrestortes, sur la gauche, près de l’aéroport. Bien qu’elle soit purement commémorative, elle marque l’azimut de Força-Réal. Érigée par le ministère de la Guerre en 1891, cette borne commémore les nouvelles mesures effectuées cette année-là par l’armée (+ d’infos).


Définitivement intégré à la France, le Roussillon subit en 1793 une dernière guerre locale : la guerre contre les Espagnols. C’est l’objet du dossier suivant.



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