À Perpignan, le 27 juillet 1789, la population se soulève et prend la direction de la régie fermière. Il s'agit d'une sorte de coopérative à laquelle tous les hommes de terre sont liés, au seul profit du roi, bien sûr. En peu de temps, tous les papiers sont brûlés, rendant impossible l'identification des créanciers.
À Prades, le 28 juillet 1789, à 20 heures, des séditieux étrangers sonnent le tocsin et propagent la rumeur selon laquelle le roi aurait ordonné la distribution de sel. Sachant combien l'impôt sur le sel avait provoqué la révolte des Angelets au siècle précédent, on comprend l'importance de cette annonce.
Aussitôt, les habitants se rendent en masse aux entrepôts et forcent les portes, rejoints par ceux des villages environnants, venus chercher leur part. Tout le tabac et le sel sont pillés. Vers 2 heures du matin, une deuxième vague d'assaillants investit la maison du receveur et la pille. Toujours à Perpignan, le 30 juillet, l'entrepôt de tabac subit le même sort que celui de Prades. Le 1er août, les Perpignanais brûlent les papiers timbrés au bureau des Domaines, exprimant leur opposition au système fiscal royal. Le 2 août, il devient impossible pour les agents royaux de retrouver une quelconque trace des créanciers, que ce soit auprès des receveurs, gabelous ou employés des fermes. Le soir, les habitants célèbrent leur victoire par une messe solennelle et un grand repas public.
Mais, quel que soit le régime qui succède à la monarchie, il devient indispensable de retrouver les contribuables et les créanciers. Si la plupart sont identifiés, cela prend parfois des années. D'ailleurs, la collecte des impôts reste un véritable casse-tête en Roussillon.
L'impôt et les Catalans
Il devient en effet de plus en plus difficile de collecter l'impôt en Roussillon. La mauvaise foi des habitants, combinée à la destruction des papiers en 1789, ralentit tellement le processus que certains cessent purement et simplement de payer. Ainsi, en 1790, à Vinça, personne ne veut collecter l'impôt, même contre rémunération. À Prats-de-Mollo et à Prades, presque rien n'est récupéré des contributions patriotiques. En août 1792, le receveur de Céret signale que les contributions entrent très mal, en particulier à Banyuls, Reynès, et Montauriol. Il note également que toutes les communes ont un arriéré datant de 1788, 1789 et 1790. Le 24 octobre 1792, le Directoire du département décide d'envoyer 300 soldats pour remédier à la situation. Cela améliore les finances, mais aggrave bien sûr le climat social. En février 1793, le Directoire contraint les receveurs de district à solder les "contributions respectives de leurs arrondissements".
La religion, sujet de discorde
Un autre point de désaccord entre les révolutionnaires et leurs opposants en Roussillon est le rapport à la religion. Nous sommes en effet dans une région très pratiquante, aux traditions chrétiennes profondément enracinées, un peu comme l'était la Bretagne à cette époque. Les *applecs* (des rassemblements populaires religieux, équivalents aux fêtes votives) sont nombreux, et la population s'oppose à leur interdiction. Elle s'oppose également à la fermeture des monastères, couvents et surtout des ermitages, habités alors par des religieux intégrés à la vie sociale, respectés et écoutés pour leur sagesse. Cependant, tous les Catalans ne partagent pas cet avis, et les décisions de la jeune République s'appliquent à toute la France. Ainsi, le 2 novembre 1789 est décrétée la vente des biens de l'Église, suivie de celle des biens des émigrés le 2 septembre 1792. La vente des biens de l'Église s'étale principalement de 1790 à 1795, tandis que celle des biens des émigrés s'effectue entre 1793 et 1795.
En Roussillon, ces deux types de biens sont morcelés en 915 lots, achetés par 617 personnes différentes. Preuve de l'inégalité des richesses, 10 % des acheteurs acquièrent 60 % de la valeur totale des biens. La Cerdagne se distingue quelque peu, étant une région moins riche en biens ecclésiastiques. Seuls 63 lots y sont mis en vente, mais on y trouve davantage de biens d'émigrés, souvent plus intéressants.
Le rachat des biens de l'Église n'est pas toujours motivé par des intérêts purement vénaux. Pour certains acquéreurs, il s'agit de préserver les édifices religieux jusqu'à ce qu'ils puissent être rendus au culte. Certains les conservent comme chapelles privées, tandis que d'autres les ouvrent (illégalement) au culte. Une partie des acheteurs transforme ces bâtiments en structures agricoles, ce qui les dégrade souvent considérablement.
D'une manière générale, la vente des biens de l'Église en Roussillon se déroule sans passion, uniquement par intérêt. Cependant, l'esprit chrétien demeure suffisamment vivant pour que la plupart des bâtiments rachetés retrouvent leur vocation religieuse quelques années plus tard, avec l'assouplissement des lois anticléricales françaises.