Histoire
Préhistoire : les champs d'urnes
Canet-en-Roussillon possède une origine très ancienne. Bien sûr, le fait que le village soit situé en plaine, à proximité de la mer, a contribué à effacer les traces d'une éventuelle occupation préhistorique. Toutefois, les premières traces d’habitat remontent vers -1000. De cette époque, correspondant à l’âge du bronze, on a exhumé divers objets : des haches, des bijoux, des épées, et surtout de nombreuses céramiques.
L’âge du bronze final (vers 700 av. J.-C.) se caractérise par la pratique de l’incinération : les corps étaient brûlés puis les cendres déposées dans une jarre, accompagnées d’objets usuels du défunt. L’accumulation de ces urnes a donné naissance à ce que l’on appelle des champs d’urnes. Canet en possède deux nécropoles attestées. La première se situe au Mas Bellevue, aujourd’hui recouvert par un lotissement. La seconde, dite des Champs des Hospices, est traversée par l’autoroute. Heureusement, ces deux sites ont pu être étudiés avant leur destruction partielle.
Les jarres étaient enterrées à seulement 70 cm de profondeur. On peut donc en conclure que les terrains ont peu évolué depuis deux millénaires, sans quoi elles auraient refait surface d’elles-mêmes bien plus tôt. Chaque nécropole couvrait une surface modeste, de l’ordre de 80 m2. De nombreux objets ont également été retrouvés à côté des urnes.
Antiquité
Les Romains n'ont pas laissé beaucoup de traces tangibles de leur présence à Canet. Bien que l’on sache que le site était habité, les fouilles menées au Puig del Baja ont livré peu de vestiges. On y a tout de même mis au jour les ruines de quelques bâtiments : maisons, citernes, etc.
Pourtant, Canet devait être à la fois très peuplé et actif, car il servait de port à Ruscino, capitale de l’administration romaine locale. Ainsi, une partie des échanges avec les puissances méditerranéennes transitait par Canet — quand ce n’était pas par Port-Vendres.
Parmi les objets exhumés, certains sont plus récents et appartiennent à la période wisigothique, soit aux VIe et VIIe siècles. Comme ailleurs dans le Roussillon, les reliques funéraires des Wisigoths sont relativement nombreuses, mais leur mode de vie quotidien reste mal connu, faute de sources. L’attaque des Sarrasins, puis leur brève occupation au VIIIe siècle, n’ont laissé aucune trace archéologique à Canet. Ce n’est donc qu’à l’époque carolingienne que le nom du village réapparaît dans les textes.
Le Haut Moyen Âge
L’histoire du village de Canet tel que nous le connaissons débute véritablement au XIe siècle. La première mention écrite remonte à 1013 sous la forme « Castellum de Caned », puis en 1017 « Villa de Caneto » et en 1052 « Canetum ». À cette époque, le littoral n’était encore qu’une bande de terres marécageuses. Les villages situés à proximité de la mer étaient relativement isolés. Canet échappa à cet isolement grâce à son port.
Le premier seigneur connu de Canet fut Raimond Bérenger, à qui Gausfred II donna « divers gages et garants pour une portion de la ville de Torelles et pour le château de Canet ». Ce château fut probablement construit peu avant cette donation. Raimond Bérenger était alors le suzerain d'une dizaine de chevaliers.
En 1075, une église fut érigée au cœur du château. Dédiée à Saint Martin de Tours, elle servit d’église paroissiale jusqu’à la construction d’une seconde église, au XVIe siècle. Le second seigneur connu, Pierre Raimond, est mentionné en 1087 comme témoin du testament de Bernard de Corneilla. Puis vint Guillaume Ier, qui participa, aux côtés de Guinart, comte du Roussillon, à la première croisade. Il était présent lors de la prise d’Antioche (1098) et de celle de Jérusalem (1099). Son successeur, Raimond Bérenger II, fut témoin d’un acte du comte Raimond Bérenger IV de Barcelone concernant Prats. Il mourut après 1099.
Les terres du seigneur de Canet prirent rapidement de l’importance. Le port favorisa les échanges commerciaux, et la population s’enrichit. La vigne fut introduite dès le XIe siècle à Canet, puis à l’Esparrou au XIIIe siècle — l’Esparrou étant alors une dépendance de Canet. Le développement économique se poursuivit avec l’exploitation des salins, puis les échanges avec Perpignan. Ainsi doté, le village connut une expansion rapide.
Les dépendances
Bien plus qu’un simple village, la seigneurie de Canet s’étendait dès le XIIe siècle sur de vastes terrains, en grande partie composés de zones marécageuses. Afin de regrouper spirituellement les habitants dispersés dans la plaine, l’Église fit construire plusieurs chapelles, ou en rattacha à Canet. Ainsi, la seigneurie comprenait :
- le village, situé sur les hauteurs, proche de la mer, organisé autour du château,
- le port, naturellement établi en bord de mer,
- le hameau de l’Esparrou,
- le hameau de Saint-Michel de Forques,
- le hameau de Sainte-Marie de Pabirans, devenu Sainte-Marie-la-Mer,
- le hameau de Sainte-Anne,
- le hameau de Vilarnau, aujourd’hui disparu avant d’avoir pu devenir une commune indépendante.
L’Esparrou est resté un hameau jusqu’à nos jours, tandis que Sainte-Anne a été absorbée par l’urbanisation. Saint-Michel de Forques fut détruit pendant la Révolution, et Vilarnau s’éteignit au XVIIe siècle. Quant au port, il donna naissance à Canet-en-Roussillon plage.
Conflits Aragon-Majorque
Les seigneurs de Canet se succèdent de manière héréditaire. En 1170, Bérenger est mentionné comme co-seigneur de Rivesaltes et de Peyrestortes. Son successeur, Raymond, obtint en 1198 l’autorisation de construire une « força » à Sainte-Marie, alors rattachée à Canet. Son fils, Guillaume II, est cité en 1205 ; il avait épousé Cerdana de Rodès. Leur fils, Raymond II, épousa Raymonde de Serralongue — un couple formé de Raymond et Raymonde.
Raymond II fut un fidèle soutien des rois d’Aragon. Il combattit aux côtés de Ferdinand lors de la bataille de Toulouse, le 16 juillet 1212. En 1229, il participa à la conquête des Baléares contre les Sarrasins, puis à la campagne de Valence. Pour financer son engagement militaire, il dut lever des fonds et vendit des privilèges aux habitants. Ceux-ci déboursèrent 3000 sols de Malgone pour, notamment (le 31 mai 1238) :
Racheter toutes obligations ou cautions forcées envers leur seigneur, ainsi que tout usage ou coutume contraire à la liberté naturelle.
Dans son testament, Raymond légua plusieurs maisons au profit de l’hôpital du village. Par ailleurs, Canet fut entouré d’une enceinte fortifiée au cours du XIIIe siècle. Cette période marque l’apogée démographique du village.
Le cimetière fut déplacé à l'extérieur du village, signe d’une forte expansion démographique. En 1300, le village comptait environ 500 habitants. Raymond II eut deux enfants, Guillaume et Pierre, tous deux élevés par leur grand-père maternel, Bernard Hugues de Serralongue. Ce dernier, avec sa fille Raymonde, accorda de nouveaux privilèges aux habitants de Canet. Pierre, nommé Pierre de Domanova, mourut en 1244. Guillaume, quant à lui, devint Guillaume III de Canet, successeur de son père.
Guillaume III confirma d’abord les privilèges octroyés par son grand-père (le 23 mai 1265), contre 700 sous barcelonais. Lui aussi avait un grand besoin d’argent pour prendre les armes aux côtés de Jacques Ier de Majorque lors de la conquête de Murcie (mai-juin 1266). À partir de 1274, le royaume de Majorque devient indépendant du royaume d’Aragon, qui cherchera sans relâche à le reconquérir. Guillaume III mourut vers 1286, après avoir épousé Alamande, fille de Pons de Vernet. N’ayant pas d’enfant, la seigneurie de Canet passa aux mains de son beau-frère, Pons de Guardia, mari de Timberga et fils de Galcerand de Pinos, seigneur de Llo. C’est ainsi que Canet passa à la famille de Pinos.
Pons entra en conflit ouvert avec le vicomte de Castelnou, partisan du roi d’Aragon. Il l’attaqua avec Arnau de Corsavy, Guillaume de Pinos et Ramon Roger de Pallars. Son successeur fut son fils Raymond III. Sous son règne, Canet devint une baronnie. À sa mort en 1312, le pouvoir passa à son frère Guillaume IV, qui reçut les châteaux de Vilarnau d’Avall, d’Espira et de Jujols en récompense de sa fidélité.
L’année 1322 fut marquante : le roi de Majorque Sanche éleva Canet au rang de vicomté, en remplacement de celle de Castelnou, jugée trop fidèle à l’Aragon. Cette nouvelle vicomté comprenait Sainte-Marie, Villelongue, Torreilles, Vilarnau d’Amont, Saint-Michel-de-Forques, Saint-Nazaire, Alénya, Théza, Corneilla-del-Vercol, Vilarasa, Mosellos et Villeneuve-de-la-Raho — un territoire immense.
En 1343, Pierre IV d’Aragon tenta de reprendre militairement le royaume de Majorque (voir l’histoire du Royaume de Majorque). Il lança ses troupes sur la plaine du Roussillon et assiégea la ville le 31 juillet 1343, causant de lourds dégâts. À ce moment-là, François d’Oms était gouverneur du château de Canet, et le vicomte Raymond IV, fils et successeur de Raymond III, s’y trouvait également. Le lendemain, Pierre IV lança un ultimatum, rejeté par les défenseurs. Le siège commença.
Le 3 août 1343, soit deux jours plus tard seulement, Raymond céda et ouvrit les portes de la ville à Philippe de Castro, représentant du roi Pierre IV. En représailles, Raymond fut exilé par galère à l’évêché de Gérone. Pierre IV installa une garnison dans le château de Canet jusqu’en 1344, année de la chute définitive du royaume de Majorque.
L’église fut endommagée. Entre-temps, les habitants, appauvris, durent emprunter aux prêteurs juifs de Perpignan pour financer les travaux de rénovation. Ceux-ci traînèrent en longueur, à l’image de ceux de Vilarnau, et ne s’achevèrent qu’au XVe siècle. Victorieux, Pierre IV d’Aragon confia Canet à Pierre II de Fenouillet, cousin de Raymond II. Il s’agissait d’une forme de compensation envers cette branche familiale, spoliée jadis en raison du soutien de leur aïeul aux cathares. C’était aussi une manière de maintenir la vicomté dans la même famille tout en interrompant la lignée anti-aragonaise. Pierre II de Fenouillet, fidèle de l’Aragon, alla jusqu’à témoigner faussement contre Jacques II de Majorque.
En 1364, la nouvelle église fut construite. Il fallut trente ans pour l’achever, mais elle est toujours debout aujourd’hui, trônant fièrement au cœur du village. Vous remarquerez d’ailleurs une grande similitude avec l’église d’Ille-sur-Têt, commandée en même temps et bâtie par le même architecte.
Le vicomte suivant, André de Fenouillet, rédigea un testament exigeant la création d’un monastère composé de neuf moines bénédictins. Ceux-ci devaient résider au château et recevoir les revenus non seulement du château, mais aussi des villages de Torreilles et de Sainte-Marie.
À partir du XIVe siècle, Canet subit les conséquences de la politique régionale. Entre 1398 et 1422, Collioure fut déclaré seul port autorisé au débarquement des marchandises dans le Roussillon. Bien que le village ait eu d’autres sources de revenus, cette décision marqua le début de son déclin. La démographie baissa rapidement, tout comme l’activité économique.
Canet en France
Au milieu du XVe siècle, les Catalans s'opposèrent aux Français, qui s’étaient rendus maîtres des comtés du Roussillon et de Cerdagne à la suite du traité de Bayonne. Louis XI était alors officiellement vicomte d’Ille et de Canet, mais la population lui était hostile. Plusieurs tentatives furent donc menées pour remettre les places fortes aux Aragonais. Si Perpignan, Collioure et Villefranche purent être sauvées, celle de Canet tomba aux mains des Aragonais le 1er février 1472, grâce à Bernard d’Oms, seigneur de Corbère.
En 1493, Charles VIII restitua le Roussillon à l’Aragon. Pierre Galcerand de Castro redevint vicomte de Canet. Par testament, il légua tous ses biens à son neveu, Guillaume Raymond Galcerand, dont la lignée conservera la vicomté jusqu’au traité des Pyrénées. Durant le XVIe siècle, la ville fut conquise par des mercenaires allemands, puis, au XVIIe siècle, par les Français pendant la guerre de Trente Ans. À cette occasion, la ville souffrit énormément.
Louis XIV devint le nouveau maître de la vicomté. Il la confia à Joseph Fontanela, fidèle à la France, écartant ainsi la lignée historique des vicomtes. Plus tard, la vicomté passa à la comtesse de Sforza, jusqu’à sa mort. Le 27 mai 1730, le Conseil d’État la transféra au duc d’Híjar, grand d’Espagne, issu d’une branche cadette des premiers rois d’Aragon. En 1789, il percevait encore des revenus provenant du moulin et du four de Canet.
Avec la Révolution française, Canet devint une commune. Le 12 avril 1789 eut lieu une réunion préliminaire aux États généraux de Versailles. Chaque habitant était invité à exprimer ses doléances, qui seraient ensuite relayées par le député. Seuls 19 habitants sur les 63 invités y participèrent. Il en ressortit les plaintes suivantes :
- Les habitants devaient payer trop d’impôts : gabelle, dîmes, vingtièmes, taxes sur le tabac, l’huile, la viande, etc.
- Trop de personnes étaient exemptées d’impôts.
- La population réclamait la fin des privilèges et davantage d’égalité.
À cette époque, la ville ne ressemblait plus à celle du passé. L’enceinte fortifiée était en mauvais état, totalement incapable d’assurer une quelconque défense. Les anciennes tours de surveillance servaient d’abri aux sans-abri, aux mendiants et à ceux qui n’avaient pas de domicile. Le château était à moitié en ruine. Le vendeur de glace utilisait encore le puits à glace, mais celui-ci se trouvait au milieu d’un pâturage où un chevrier gardait son troupeau. Les rues, en terre battue, n’étaient pas encore pavées, et les ordures étaient jetées par-dessus les murailles.
Il fallut attendre 1830 pour que les habitants utilisent les pierres du château pour paver les rues. Le début du XIXe siècle vit également l’assainissement des marais. Les terres ainsi récupérées furent mises en culture, notamment pour la vigne.
À partir de 1946, Canet connut un développement régulier grâce au tourisme, jusqu’à devenir la station balnéaire que nous connaissons aujourd’hui.