Histoire
Mentionné dès le 1er siècle par le géographe latin Pomponius Mela comme le finis Galliae, c’est-à-dire le point extrême des Gaules, le site de Cerbère fut rapidement délaissé au profit d’un emplacement plus accessible, mieux situé près des voies de communication. Seuls quelques actes notariés anciens mentionnent encore le lieu de Baus Fallut, au cap Cerbère.
Le hameau de Cerbère, comme beaucoup d’autres, est apparu au début de l’ère carolingienne, autour du IXe siècle. Il est mentionné pour la première fois en 981 dans un acte du roi Lothaire sous le nom de Vall de Cervera (vallée de Cerbère), puis en 1155 sous la forme "Cervera". Une chapelle y fut construite, dédiée à Saint Sauveur, appelée Sant Salvador de Cervera ou Sant Salvador de la Pera Dreta (Saint Sauveur de la pierre droite), en référence à un menhir proche. Un château y fut également édifié, dont la tour de Querroig témoigne encore aujourd’hui.
Une paroisse, une chapelle et un château : tels sont les premiers éléments qui ont attiré une population restreinte mais sédentaire.
Au XIIIe siècle, Jacques de Rabos, seigneur de la vallée des Abeilles (haute vallée de Banyuls), crée en faveur de Saint Sauveur un bénéfice simple comprenant la dîme du poisson et du corail pêchés dans son anse, ainsi que les droits de pâturage et d’herbage. La famille de Rabos s’éteint au XIVe siècle, et son territoire est récupéré par la famille de Pavo, déjà seigneur de la haute vallée. Saint Sauveur et son hameau sont alors intégrés à la paroisse des Abeilles. Après la chute des Pavo, la chapelle passe à l’évêché d’Elne, puis, à partir du XVIIIe siècle, à la famille de Cosprons, qui en est bénéficiaire jusqu’en 1789.
À la Révolution française, les titres seigneuriaux disparaissent. Désireux de cultiver librement les terres, les habitants cherchent de nouveaux espaces et s’installent sur les coteaux de Cerbère, où la vigne devient la principale source de revenu. C’est de cette époque que datent les vignobles en terrasses. En 1820, seules dix familles résident à Cerbère.
La contrebande avec l’Espagne conduit les autorités à construire un poste de douane en 1841. Ce bâtiment imposant marque l’arrivée d’une nouvelle population administrative, qui s’accroît encore avec la construction du chemin de fer, dont le premier convoi traverse le village en 1876.
En 1879, les habitants réclament une paroisse indépendante. Une nouvelle église dédiée à Sainte Marie est construite en 1880, financée par la vente de vin, ce qui explique que la frise de la rosace soit ornée de feuilles de vigne. En 1888, le village se développe suffisamment pour devenir une commune indépendante, détachée de Banyuls-sur-Mer, et élit son premier maire.
Au début du XXe siècle, Cerbère compte 1 333 habitants (recensement de 1906). La ville bénéficie pleinement de son activité frontalière, notamment au niveau administratif : la douane pour le contrôle des marchandises et la gendarmerie pour lutter contre la contrebande. Cerbère est aussi célèbre pour son trafic ferroviaire particulier.
Les transbordeuses d’oranges
Le 21 janvier 1878, les compagnies de chemins de fer du Midi (France) et de Tarragone à Barcelone (Espagne) se rejoignent à la frontière de Cerbère. Or, les écarts entre rails diffèrent (1,43 m en France contre 1,66 m en Espagne), obligeant les passagers à changer de train à la frontière. Les marchandises doivent aussi être transbordées, notamment les oranges, l’une des principales importations.
Ce travail fut confié aux femmes, les « transbordeuses d’oranges », qui portaient des paniers pesant de 15 à 20 kg. Leur salaire était maigre, et le travail très dur. Le 26 février 1906, elles déclenchent une grève, demandant une augmentation de 25 centimes sur leurs 75 centimes de salaire à la tâche. Ce fut la première grève purement féminine en France. Le mouvement ne s’acheva que le 3 décembre, après de longues luttes avec les autorités, les employeurs et des divisions internes parmi les ouvrières.
Un monument en leur mémoire est visible dans la galerie de photos.
La citation à l’ordre de la nation
Par décret du 20 février 1947, sur proposition du ministre de l’Intérieur, la ville de Cerbère reçut la médaille d’argent de la Reconnaissance française. Cette distinction, créée par Raymond Poincaré en 1917, récompense les « services exceptionnels, actes de dévouement répétés accomplis au péril de la vie pour la France », que ce soit à titre civil ou dans la Résistance.
Seules six villes en France ont reçu cette médaille, dont deux dans les Pyrénées-Orientales : Céret et Cerbère.
Cette distinction fait référence à la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle Cerbère accueillit en septembre 1944, à l’école primaire, les premiers marins des Forces françaises libres. De nombreux habitants aidèrent également à faire passer clandestinement environ 2 000 personnes vers l’Algérie, le Royaume-Uni ou les États-Unis, grâce à des cheminots et douaniers en poste dans cette ville-frontière.