De quoi s'agit-il ?
Escaro est un petit village, mais c'est un haut lieu de l'extraction minière dans les Pyrénées-Orientales. Il faut dire que le Canigou est une montagne ferreuse, et de tout temps, on y a pratiqué l'extraction du fer. Les mines d'Escaro faisaient partie des principales mines du département, et on y trouve de nos jours un musée dédié à cette activité.
L'histoire de l'extraction sur ce site commence très tôt. Nous sommes en 150 ans avant J.-C., et déjà les Celtes avaient trouvé comment transformer le fameux minerai en outils, outils que l'on a retrouvés sur ce site ainsi que des pièces de monnaie de cette lointaine époque. Les Romains poursuivirent cette activité, qu'ils développèrent pour alimenter leurs forges. Puis les Catalans, issus des Francs du nord de la France, vinrent s'installer sur ce territoire et exploitèrent à leur profit les richesses du sous-sol d'Escaro. C'est d'ailleurs la très puissante abbaye de Saint-Michel de Cuxa, à Codalet, qui était la propriétaire des mines de fer du Canigou, dont elle tirait d'ailleurs de bons revenus. Partout durant la période médiévale se sont développés des sites miniers, exploités de la façon la plus rationnelle possible pour l'époque, et des forges, forcément installées près des rivières pour profiter de la puissance mécanique de l'eau. La région regorge de traces des forges catalanes, par exemple à Villefranche-de-Conflent, qui en conserve une précieusement.
La Révolution française marquera non pas la fin de l'activité mais sa nationalisation : récupérées au nom du bien commun à l'abbaye, les mines d'Escaro furent rachetées en 1813 par les propriétaires des forges de Thuès et de Nyer. Malheureusement, les hauts-fourneaux modernes des régions du nord de la France eurent raison de leurs concurrents catalans, plus petits. Ils durent fermer les uns après les autres, limitant les débouchés des mines locales. Toutefois, la création d'un haut-fourneau à Fuilla en 1859 améliora la situation.
L'arrivée au XIXe siècle de l'industrialisation va changer la donne. En effet, c'est au début de ce siècle que furent créées par ordonnance royale quatre mines :
- Aytua (675 hectares). Elle fut en activité de 1843 à 1962, malgré des interruptions dans l'exploitation, en particulier entre 1930 et 1938.
- Les Escoums (105 hectares, à cheval sur les communes d'Escaro, Nyer et Souanyas), en activité de 1906 à 1962. Aytua et Les Escoums fermèrent en même temps que leur propriétaire, les hauts-fourneaux Prénat.
- Escaro-Sud (107 hectares), en activité de 1875 à 1954, une propriété des hauts-fourneaux Decazeville, du groupe Holzer. Escaro-Sud était plus sain qu'Escaro-Nord, mais le minerai y était plus dur à extraire.
- Escaro-Nord (26 hectares), la plus petite et la plus active des quatre concessions, propriété de la société Denain-Anzin. Elle commença son activité un peu après les autres, en 1883, et sera la dernière à fermer, le 31 janvier 1963. À cette occasion, 91 personnes furent licenciées, dont le directeur, mais la plupart furent repris, le temps d'arriver à la retraite, par la carrière de spath-fluor. Escaro-Nord était difficile à cause de l'humidité constante des galeries. La carrière de fluorite a fermé ses portes en 1993, à l'épuisement du gisement. Le spath-fluor est un minerai riche en fluor.
En 1862, la société Frèrejean, Roux et compagnie était l'exploitant des hauts-fourneaux de Fuilla, mais aussi l'exploitant des mines d'Aytua, d'Escaro-Nord et de Vernet. Ces trois mines devinrent sa propriété dix ans plus tard. Mais devant la concurrence des hauts-fourneaux anglais, celui de Fuilla dut fermer. Les mines évoluèrent également, puisque Escaro-Sud se dota à partir de 1875 d'un funiculaire permettant la descente du minerai jusqu'à la gare de Joncet, accélérant ainsi sa production. Escaro-Nord ne se développa alors que très peu, et c'était en direction du Plan de Ganta, en 1880. En 1887, la société des mines métalliques de Riols, dans l'Hérault, reprit Escaro-Nord et y créa un téléphérique reliant Serdinya, qui sera utilisé durant tout le XXe siècle. En 1919, la concession fut vendue à la société Franco-Africaine, en 1936 à la Compagnie d'Alès et, à partir de 1942, à Denain-Anzin (jusqu'en 1963).
Ce sont ces mines qui firent les beaux jours d'Escaro et d'Aytua, mais aussi de tous les autres villages à proximité. En effet, impossible d'extraire du minerai si on ne peut l'envoyer sur des sites de traitement. C'est donc tout naturellement qu'en parallèle tout le bassin minier de Prades profita de l'activité économique, et plus particulièrement les hauts-fourneaux de Fuilla et de Ria. Évidemment, plus le temps passe, plus l'amélioration des transports avance, plus les industries se regroupent et les hauts-fourneaux locaux finissent par s'éteindre au profit des aciéries nationales de Pauillac, Givors, Chasse ou celles de Denain-Anzin.
La mine de spath-fluor
La vie d'Escaro bascule en 1954. C'est en effet cette année-là que fut découvert le gisement de spath-fluor sur le site du Pla de Ganta, au nord d'Escaro. Proche de la fluorine, cette pierre était facilement confondue avec la silice. La société Denain-Anzin, dernière exploitante des minerais à Escaro, obtint immédiatement une concession et commença à développer une mine à ciel ouvert. Grâce à cela, le village put continuer à faire vivre des ouvriers et leurs familles, car le climat, à l'époque, était bien morose. Toutes les mines fermaient les unes après les autres, et les sites sidérurgiques de la région avaient fermé depuis longtemps. Alors du travail à Escaro, on en prenait, même si c'était pénible.
Ce que n'avaient pas prévu les habitants, c'était que le filon était le plus important de France et qu'il s'étendait jusqu'au village lui-même. Plus l'exploitation durait, plus les maisons devenaient fragiles, ébranlées par les outils industriels menaçants. Ces maisons furent peu à peu rachetées par l'exploitant, et un nouveau village apparut sur le site qu'on connaît de nos jours. Puis, en 1973, alors que plus personne ne vivait là, deux pelles mécaniques vinrent faire tomber ce qui restait du village séculaire d'Escaro.
L'exploitation de la mine de spath-fluor s'arrêta en 1991, laissant sur place une certaine amertume : personne n'avait vraiment profité des bénéfices qui y avaient été faits, et maintenant qu'elle est fermée, la mine offre aux visiteurs la vision de ses pans de montagne ébréchés. Quant au vieux village, ce n'est plus qu'un souvenir, et au final, pourquoi ? Des siècles d'histoire disparus sur l'autel de 20 ans d'exploitation minière. Un passé amer, par moments.
Les mineurs
La tenue du mineur était composée d'un casque et d'une lampe à carbure. On commençait sa carrière à 14 ans. Jusqu'à 15, on portait les outils aux mineurs ; plus âgé, on poussait les wagons pleins de minerai jusqu'à la trémie principale (le roulage). Les mineurs étaient des paysans du coin, qui avaient appris le métier sur le tas. Ils savaient tout faire : dynamiter, rouler, boiser, abattre. Un mineur devait abattre sept tonnes de minerai pour obtenir le "prix de régie", mais certains pouvaient en faire beaucoup plus. Le travail commençait à 8 h précise et se poursuivait jusqu'à 15 h 45 sans discontinuer, soit 7 h 45 exactement. Après leur journée de travail, les ouvriers allaient aux champs jusqu'à 9 ou 10 heures du soir, parfois en se levant la nuit pour ne pas rater leur tour d'arrosage. Ces conditions de vie faisaient qu'il était très difficile pour eux de vivre âgés. Beaucoup étaient atteints de silicose ou d'arthrose.
À Escaro, après la guerre, il y avait 550 habitants et trois écoles. Au plus fort de l'activité, 420 personnes travaillaient dans les quatre concessions, un peu avant la guerre. Bon nombre étaient des émigrés italiens, polonais, espagnols ou yougoslaves. Les grèves étaient fréquentes, dues aux conditions de vie dures : en particulier en 1906 et 1948.
Organisation sociale des mineurs
Sans être le coin le plus reculé du département, Escaro n'en est pas moins peu accessible, surtout au début du XXe siècle. Or, un millier de personnes travaillaient dans les mines de la région ; il fallait bien s'organiser socialement pour faciliter la vie. L'un des exemples d'organisation réside dans la mise en place d'une Société de Secours Mutuel, ancêtre de la Sécurité sociale. C'était une caisse commune abondée par un pourcentage du salaire des ouvriers, mais aussi par une participation de l'exploitant. Cette caisse servait à verser une pension à la famille des accidentés de la mine, ceux qui ne pouvaient plus subvenir aux besoins de leurs proches. La caisse d'Escaro était nommée "Tres Estelles", du nom du pic du Canigou. Elle fut fondée en 1902.
Un autre exemple de solidarité se trouve dans la création d'une coopérative qui fonctionna de 1937 à 1981. Initialement installée dans un bâtiment du Veïnat d'Amunt, elle déménagea en 1952 à cause des risques d'effondrement dus aux travaux miniers tout proches. Elle s'installa pour la dernière fois en 1973 à l'entrée du village. Cette coopérative achetait en gros des vêtements et de la nourriture. Initialement réservée aux membres de la coopérative, elle accepta rapidement tous les autres habitants.
C'est à partir des années 50 que le village commença à se dépeupler. En effet, une ligne de bus, le bus Llabour, faisait le trajet pour amener les mineurs chez eux, plus bas dans la vallée. Escaro perdit une partie de sa population et, du même coup, de sa vitalité. Certains commerces fermèrent, puis peu à peu tous les autres.
Le transport du minerai
On a du mal à l'imaginer de nos jours, mais toute la montagne du Canigou était bardée de voies de transport pour le minerai extrait de toutes les mines qui pouvaient s'y trouver. Et la plupart de ces voies étaient aériennes !
Et oui, entre 1875 et 1912, il y avait un funiculaire qui amenait le minerai à une gare de départ au col d'Eroles et arrivait à Joncet. Un autre partait d'Aytua et arrivait à Serdinya. Un téléphérique, lui, amenait la marchandise à partir d'El Coms ; un autre à partir d'Escaro-Nord. Un peu plus tard, à l'époque de l'exploitation du spath-fluor, un autre téléphérique amenait la cargaison à l'usine de traitement d'Olette. Quand on sait que la mine de Batère, de l'autre côté du Canigou, descendait son minerai par un téléphérique de 9 km de long, on ne peut qu'imaginer ce qu'était le paysage à l'époque !
De nos jours
Aujourd'hui, les vestiges des mines sont nombreux. Il y a un musée ouvert depuis le 4 décembre 2003. On y voit des wagonnets, des rails, des locomotives, du petit matériel comme des lampes à carbure, des sabots, des brodequins à clous, des perforateurs et des "bouradous" (tiges de bois qui servaient à enfoncer les dynamites dans les trous de la roche). Le transport du minerai passait par câble aérien de la mine des Escoums à l'usine de la Bastide, près d'Olette. Mais une partie était aussi transportée par le train jaune, de Serdinya / Joncet à Villefranche.